vendredi 25 mars 2022

N. Karpitsky. 20 mars 2022. Ukraine. Vingt-cinquième jour de guerre

C’était exceptionnellement calme ce matin. Avant-hier, les sirènes hurlaient constamment et des explosions ont été entendues – on pilonnaient Kramatorsk, frappaient des bâtiments résidentiels, il y avait des victimes, et maintenant il y a le silence. Lorsque vous vivez près du front, vous ne ressentez que de la peur situationnelle quand la menace est imminente.  

Dès que les choses se calment, on relaxe, c’est comme revenir au passé, à une vie paisible... jusqu’au prochain bombardement. C’est la psychologie de la guerre.

Comme c’était dimanche, j’ai décidé de marcher sur le même chemin que la semaine dernière – à l’église «Bonne Nouvelle». La dernière fois les rues étaient désertes, et cette fois Il y avait beaucoup de gens, soit le temps est bon, soit les gens sont habitués à la guerre. Quand même ils sont habitués. À mon retour, il y a eu une explosion éloignée d’une frappe de missile, et personne n’y a prêté attention. L’église avait aussi deux fois plus de personnes que le dernier service, plus de deux cents. Aux pareilles moments on veut oublier la guerre, mais dans la tête il frappe : «Marioupol... Marioupol...» Après tout, notre tranquillité ici est payée en ce moment par la mort des habitants de Marioupol. 

J’ai rencontré Yuri Korotich à l’église, à qui j’ai fait connaissance il y a trois ans à Marinka, une ville directement adjacente à Donetsk. Là-bas du centre-ville aux positions des occupants environ vingt minutes à pied. Je lui ai dit que nos cours étaient sur Internet comme d’habitude, mais certains étudiants ont dû se connecter directement des sous-sols pendant les bombardements. Yuri m’a dit qu’il a la même situation, et maintenant il tient des services avec la commune de Maryinka sur Internet. Les gens restent aussi dans les sous-sols, la ville est constamment bombardée et attaquée avec des véhicules blindés. La prise de Maryinka aurait permis aux occupants de démembrer tout le groupe Donbas en deux, mais l’armée ukrainienne est là depuis le début de la guerre comme têtu et ne recule pas. 

Pendant deux semaines, il y a une bataille grandiose sur l’Arc du Donbass. L’ennemi presses sur plusieurs côtés à la fois – Maryinka, Izyum, Rubejnoe, Severodonetsk, Ugledar. Cette bataille est aussi importante que la bataille de Koursk pour la Seconde Guerre mondiale. Nous avons notre propre analogue du blocus de Leningrad – Marioupol, qui, cependant, est dans une situation beaucoup plus misérable, et il est assiégé par un adversaire beaucoup plus cruel. 

Dimanche dernier, j’ai demandé aux volontaires comment c’était à Izyum, sur la rive sud de laquelle l’armée ukrainienne s’est établie. À ce moment-là, nous n'avions la certitude qu’on porraient tenir le coup. L’ennemi était de loin supérieur en capacités militaires. Izyum – c'est la dernière frontière, qui est commode de défendre, si elle est brisée, il y a une menace d’un encerclement complet du groupe de Donbass. Il a été pris d’assaut toute la semaine. 

L’armée russe n’a pas ramassé les corps sur le champ de bataille, alors vague après vague elle marchait droit à travers d’eux comme des zombies. En fait, ce sont des zombies, car ils ont tous déjà été condamnés à mort par Poutine. Je me suis même demandé ce que je ferais si on avait des combats de rue à Slavyansk. Ce dimanche, j’avais de l’espoir. L’ennemi est à bout de souffle, et il est impossible de compter combien ont été tués. Donc ils ne seront pas enregistrés. S’il n’a pas brisé la défense depuis une semaine, il est peu probable qu’il la brisera jamais. Ces derniers jours, il y a eu des combats de rue à Rubejnoe. Ce matin, un message est venu dire que la ville est sous notre contrôle ukrainien. Il semble qu’on va réussir sur l’arc du Donbass. Mais Marioupol, où l’ennemi mène systématiquement le génocide des habitants, est maintenant impossible à aider. 

C’est une guerre irrationnelle avec une brutalité irrationnelle. On rapporte constamment des atrocités. Dans la ville de Kremennaya (près de Rubejnoe) un tank a tiré sans raison sur une maison de retraite. 56 personnes ont été tuées. Une école de Marioupol où 400 personnes se cachaient a été bombardée. En même temps, Poutine ne pouvait même pas expliquer clairement pourquoi il a commencé la guerre et ce qu’il essayait de réaliser, sauf le but de détruire physiquement l’Ukraine. Mais cet objectif est trop irrationnel pour être considéré fonctionnellement n’importe où, par exemple, dans les négociations. Par conséquent, il n’est pas clair comment les négociations sont techniquement possibles. 

En général, il est sans précédent – une guerre qui est déclenchée sans aucune raison, juste parce qu’une personne inadéquate, qui se considère comme président, a voulu le faire. Tout comme nous, en Ukraine, nous nous demandions avant la guerre si Poutine allait attaquer ou s’il gardait encore des éléments de bon sens, l’Europe se demande maintenant s’il va utiliser des armes nucléaires et les frapper aussi? À mon avis, la probabilité que cela se produise est assez faible, à peu près aussi faible que la probabilité d’une invasion à grande échelle de l’Ukraine. Mais cette possibilité s’est réalisée. C’est pourquoi les pays occidentaux ne transfèrent pas d’armes offensives à l’Ukraine – ils ont peur.

Ce qui est clair, c’est que la guerre ne peut prendre fin que lorsque tous les auteurs d’agression sont traduits devant un tribunal international. Après cette guerre, un nouveau système de sécurité internationale devra être créé pour que plus jamais l’existence de la civilisation ne dépende de l’état mental d’un être humain inadéquat.